Connaissez-vous le château de Combourg, petite bourgade d’Ille-et-Vilaine située en Bretagne romantique entre Rennes et Saint-Malo où l’on raconte qu’un fantôme proche des membres de la famille et doté d’une jambe de bois viendrait hanter le château et que certains spécialistes des phénomènes surnaturels viennent du monde entier pour étudier et tenter d’élucider ce mystère ?
Car il ne s’agit pas de cela mais de l’étude du membre fantôme chez les amputés 🙂 Après une amputation, il est fréquent de ressentir son membre perdu, comme s’il était là. Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vous réveiller, que votre bras/main/pied/jambe ne soit pas du tout dans la position attendue, ou encore d’avoir le creux de la main qui vous chatouille et que vous ne pouvez pas gratter, car c’est à l’intérieur? Et bien c’est pareil pour le membre fantôme sauf qu’il n’y a rien.
Après mon amputation en 2002, je ressentais des sensations vives dans la main perdue : chatouillements, brûlures, impression de l’avoir….on compare souvent le membre fantôme a quelque chose de douloureux, mais en fait, les sensations sont multiples.
Porter une prothèse de main me permet de « transformer » ce membre fantôme en quelque chose de réel et il m’arrive donc de me gratter la main prothétique ! L’effet visuel y fait sûrement quelque chose car ça marche.
Justement, au sujet des mains prothétiques, saviez-vous qu’un amputé de la main sur deux rejette sa prothèse ? Les raisons : poids, inesthétique, inconfortable et difficile à contrôler. Il faut apprendre à contracter des muscles de l’avant-bras afin d’ouvrir et fermer la main pour saisir des objets, ce n’est pas très naturel, il n’y a pas non plus de toucher sur une prothèse, on ne sait donc pas ce que l’on saisit ni à quelle force on sert.
Ce projet Phantom Training auquel je participe tente une approche intéressante : restaurer la boucle sensori motrice du membre perdu en utilisant le membre fantôme. Attends, j’t’explique :
Une boucle sensori-motrice pour faire simple, c’est la commande et le retour de sensation. Par exemple :
- prendre un verre
- savoir à quelle force serrer
- sentir l’objet dans la main
- voir la main et l’objet

Avec une prothèse, c’est différent :
- contracter un muscle de l’avant-bras pour fermer la main
- serrer assez fort, ni trop et un peu au hasard
- éteindre la prothèse pour que la main ne s’ouvre pas par inadvertance.

On peut faire le constat qu’il est difficile de maîtriser sa prothèse car le contrôle n’est pas naturel et qu’il n’y a pas de retour somato-sensoriel, c’ est à dire qu’on ne sait pas si on touche un objet et dans quelle position est la main prothétique.
Pourtant il y a un retour somato-sensoriel concernant le membre perdu, c’est ce que l’on appelle le membre fantôme. Ces sensations fantômes ne sont pas forcément douloureuses, et 3/4 des amputés peuvent volontairement bouger ce membre fantôme, c’est la mobilité fantôme.
Et justement, ce projet est d’apprendre à utiliser son membre fantôme pour contrôler une prothèse, d’observer s’il est possible de restaurer cette boucle sensori-motrice à l’aide d’un retour sensitif et visuel de la main perdue.

Durant un entraînement en réalité virtuelle, ma main fantôme est visualisée devant un piano, je bouge le majeur de mon membre fantôme, ce mouvement est détecté par le capteur musculaire placé sur mon moignon qui commande le majeur de la main virtuelle. Quand le doigt touche le piano, un retour sensitif est envoyé sur mon moignon, plus précisément sur la zone correspondant au majeur. La boucle sensori-motrice est ainsi recréée.
Pendant deux mois, je dois tous les jours bouger les doigts de mon membre fantôme afin de l’exercer, un IRM fonctionnel est réalisé avant et après l’entraînement de deux mois afin d’observer si les zones du cerveau correspondant au membre fantôme peuvent évoluer (en attente des résultats).

Cette recherche pourrait aboutir à la construction de prothèses de membre supérieur dont le contrôle est basé sur la mobilité fantôme avec un retour somato-sensoriel intégré dans la prothèse afin d’éviter les rejets et donc améliorer le quotidien des utilisateurs de prothèses myoéléctriques.
En fait, on essaie de prouver qu’un contrôle plus intuitif des prothèses permet de mieux vivre avec.
Et sinon, les fantômes, vous y croyez, vous ?
