Taratata !

Mardi 19 novembre 2019, 19h59 minutes et 55 secondes, 4, 3, 2, 1: antenne. Les lumières jaillissent, le célèbre générique de Taratata retentit et le public s’exclame à l’arrivée de Nagui qui annonce la soirée face caméra.

Il remercie les partenaires, les techniciens, les musiciens et surtout vous ! Le public en remet une couche. Il finit par annoncer Jean-Louis Aubert et Gaëtan Roussel qui arrivent sur scène en jouant un blues à la guitare: « Caché dans ton guichet contreplaqué, aggloméré linoléeum…. » La reprise de Hygiaphone, le premier tube de Téléphone. Assis derrière la batterie, je patiente, dans quelques secondes, ça va commencer, j’essaie de réaliser le moment. J’aimerais être ailleurs à cause du trac, mais je me dis que je suis responsable de ce qui m’arrive, que je dois simplement prendre du plaisir. Je pense fort à ma famille, à ceux qui m’ont fait découvrir Téléphone (cousin Frédo), à mes copains d’enfance (Guigui). Je suis parmi les musiciens et au premier riff de guitare électrique nous partons ensemble pour un rock digne d’un morceaux de Chuck Berry.

La veille, à la même heure débutait un enregistrement live de Taratata auquel nous assistions pour la première fois. Assis dans les gradins nous avons passé la soirée à observer le monde de le télé et on s’est bien marré à écouter Philippe Katerine. Nous, c’est moi, Charlie, mon collègue avec qui je travail à My Human Kit, Nico Pousset -Nicolight- ainsi que Micheline, sa mère qui l’accompagne.

Nicolight
Fan de Taratata, il s’y connaît en lumières de scènes, sa curiosité et sa passion pour ce domaine l’ont amené à rencontrer des références dans le métier comme Jean-Philippe Bourdon un concepteur lumières qui travaille sur les Restos du Coeur, Taratata…Nicolight collectionne sur son fauteuil les bracelets des émissions auxquelles il a participé et n’en rate pas une, c’est un habitué, même Nagui le connaît ! Deux semaines avant l’enregistrement de l’émission, il me propose de venir, les dates correspondent à un déplacement professionnel sur Paris, impeccable. Cela fait un an que nous plaisantons sur l’idée d’aller présenter My Human Kit à Taratata :
« – Nicolight, tu connais Nagui, la prochaine fois tu lui parles de nous;-). Ce à quoi il me répond:
– Oui et tu viendras jouer un morceau sur scène avec Jean-louis Aubert !
– Avec grand plaisir » que je lui dit, c’est du domaine de l’impossible, mais bon, on a le droit de rêver, non ?

Toute première fois
En fait, le rêve s’est déjà réalisé le jour où j’ai rencontré et joué avec Jean-Louis. C’était en 2016 lors d’un séminaire d’entreprise pour lequel je présente mon parcours et l’association My Human Kit. Ma présentation se termine par une performance à la batterie pour démontrer qu’avec mon handicap à la main, la musique n’est pas une barrière.  Un peu plus tard dans les backstage je vois à ma grande surprise Jean-Louis qui se dirige vers sa loge, il vient donner un concert privé pour la boite (le chef d’entreprise est un fan). Encore sous l’effet de ma prestation publique, je l’interpelle pour lui dire que c’est Richard Kolinka, le batteur de Téléphone qui m’a transmis cette envie de jouer et que je connais par cœur le Live de Téléphone 1986.

Back to the 90’s
Un CD offert par mon père pour mes frangines quand nous étions tous jeunes, que j’écoutais assis sur mon lit avec des crayons dans les mains, je faisais du air drums (ça n’avait pas de nom à cette époque là), je jouais dans le vide, je m’y croyais, j’avais 10 ans. J’ai vu pour la première fois une batterie un samedi soir de bal où il y avait un groupe qui jouait, les grands dansaient, je restait sur le coté de la scène à espérer que le batteur me mette à sa place. Souvent, assis à l’arrière de la voiture des parents alors que nous écoutions la radio, je mimait la batterie et ma sœur me corrigeait : « Pas avec le talon, l’autre jour à la télé, on voyait les pieds du batteur et comment il jouait, il faut que tu tapes avec le bout de ton pied ». Hop je corrige le tir, prend une nouvelle habitude, c’est comme ça que j’ai appris à jouer. Je savais jouer, mais pour de faux, je ne savais pas si cela fonctionnerait en vrai. Un jour mon père à parlé de s’en acheter une, j’ai rien dit mais j’étais fou de joie, il ne l’a pas fait. En grandissant, j’avais de quoi me faire des films avec mon meilleur copain du collège qui voulait aussi devenir batteur (Thomas BoumBoum). Un autre copain en avait une que j’ai essayé dans son garage (Kefran et la bande de Maulev), c’était la première fois, évidemment que je n’y arrivait pas. En tout cas il était clair que ce rêve était inaccessible car nous n’avions pas la place à la maison et surtout pas l’argent.

Une baguette s’il vous plaît !
C’est à 18 ans, quand j’ai perdu ma main dans un accident de travail que je me suis dis : « Merde, t’es trop con t’aurais dû essayer, maintenant c’est trop tard! ». J’avais la vie devant moi pour regretter de ne pas avoir essayé quand je le pouvais. Et en en même temps, maintenant qu’il était trop tard et que la vie me paraissait nulle et inutile, je me disais, « Autant essayer, t’es pas mort ». J’en parle à mon prothésiste qui me bricole un système avec une baguette fixée sur une emboiture de prothèse, je m’achète une batterie électronique (Roland TD-6) et je prends des cours pendant six mois. J’apprends des rythmes latino comme la salsa ou samba, je ne sais pas lire la musique, mais le prof me conseil d’apprendre à l’Africaine vu que j’ai une bonne oreille, j’apprends vite dit-il. Le soir je m’entraîne au casque à la maison avec le métronome et je joue sur tous les styles proposé par la boîte à rythme : rock, reagge, ska, blues, funk, groove, slow…J’ai donc la preuve que je sais jouer. Cela se complique le jour ou j’essaie sur une batterie acoustique, comme je n’ai pas de poignet, la force de frappe est moindre et je ne peux pas gérer les rebonds. Grosse déception, je ne serais pas le batteur que je pensais, mais je cherche des solutions: une baguette sciée en deux est fixée sur une lame de carbone ou collé dans un ressort, des  systèmes fait maison avec le coffre de ma voiture comme atelier vu qu’il n’y a pas encore d’endroit publique pour aller bricoler (merci les fablabs!). Des systèmes plus ou moins foireux qui me font baisser les bras car ce n’est jamais solide, qu’il faut modifier la baguette et que le son de frappe est loin de l’original. Et en 2012, miracle, en discutant avec un batteur et un mécanicien, j’ai enfin une solution qui allie un amortisseur de type silent bloc visser sur le tilter de perchette de cymbale. Ces deux sons de cloches me permettent de trouver la bonne note, la frappe main gauche sonne (presque) comme celle de la droite, c’est l’harmonie totale. Mon copain ingé son (Lolo) qui a l’ouïe fine qui valide à l’orale : »- Je crois que cette fois ça y est, tu l’as ». Voici le tutoriel de fabrication du système. Et pour couronner le tout, mon prothésiste qui est vachement fort (Erwan OPR35) m’a fabriqué  une emboîture spéciale dans laquelle je peux ranger une clé de serrage pour régler les toms, alors elle est pas belle la vie ?

 

 

 

 

Toute première fois (suite)
Retour en mars 2016 au séminaire d’entreprise. Intrigué et ouvert, Jean-Louis comprend qu’il y a une batterie (nous sommes au Zénith de Paris en plein après-midi) et me répond
« Bah on a qu’à jouer ensemble ». Mon enthousiasme retombe et je me sens gêné. C’est juste que je m’attendais à une réponse du genre « Bravo » ou encore « Très bien continues », mais pas à « On a qu’à jouer ensemble ». Alors je prends mon courage à une main et lui dis « Bah ouais carrément  » ou une réponse philosophique de ce genre. La suite de cette histoire, intitulée Aubert & (ni)CO est en version plus complète sur le lien. A la fin de la journée nous échangeons nos contacts et nous nous revoyons au concert des Insus à Rennes six mois plus tard.

Fin 2019
3 ans plus tard, en novembre, quelques jours avant l’émission Taratata, j’envoie un message à Jean-Louis en lui annonçant que nous serons dans le public et que j’emmène mes baguettes, au cas où :-). Il me rappelle pour me dire qu’on devrait jouer ensemble et que je devrais présenter My Human Kit. J’hallucine. Le soir, Vivi, sa régisseuse me confirme par téléphone. Les choses vont vite, je me permets au passage de lui signaler que je suis gaucher et que si possible il faudrait inverser la batterie:

« – Les gars n’ont pas le temps, dit-elle.
– Mais si c’était le batteur des Pink Floyd, ils le prendraient le temps non ?
– Mon petit gars, t’es pas le batteur des Pink Floyd, tu te démerdes ».

On est vendredi, l’émission est mardi, ça va être chaud quand même. Samedi matin je m’entraîne sur ma batterie re-configurée en droitier (pédales et charleston inversés), et j’écoute Hygiaphone dans le casque en boucle. Au bout d’une heure de pratique, ça me picote les doigts, merde des ampoules partout ! Manque de pratique, je ne peux plus jouer. Il me reste donc la bonne vieille méthode de quand j’étais gosse : écouter le morceaux chez moi, le répéter dans ma tête en mimant. Si il y a bien un instrument qui peut se travailler ainsi, c’est la batterie.

Lundi matin 18 novembre, 11h, Vivi me rappelle pour m’annoncer la bonne nouvelle : les techniciens pourront configurer la batterie en gaucher. Le soir nous sommes au studio 130 dans le 93 et assistons en tant que public à l’enregistrement de l’émission avec Philippe Katerine comme invité.

Le lendemain, mardi 19 novembre à 16h, avec mes comparses auxquels s’ajoute Pauline (merci pour les corrections de l’article !) de My Human Kit (c’est la semaine du handicap et nous avons passé la journée dans une entreprise), nous retournons au studio 130. Cette fois, moi et Charlie filons dans les loges avec un bracelet artiste. Je passe faire coucou à Jean-Louis qui est dans la sienne puis me dirige dans la loge réservée aux musiciens.

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Photo souvenir, avec l’affiche « Musiciens J.L. Aubert », normal non ?

Je rencontre Aleksander Angelov, bassiste qui a accompagné les Insus, Thomas Semence, guitariste également sur des spectacles pour enfants ainsi que Colin Russeil, batteur de Roméo Elvis. Salut à vous et vive les sons MIDI ! Une référence au générique de Taratata un peu 80’s il faut l’avouer et qui mériterait un petit rafraîchissement au niveau de la batterie.

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A la fin de l’émission nous revenons sur le plateau. De gauche à droite : Aleksander Angelov, Nicolas Huchet, Thomas Semence et Colin Russeil.

C’est une sensation bizarre, gênante et excitante d’être avec des professionnels de la musique dans les coulisses. J’ai cette sensation du petit enfant qui est dans son coin et qui pourrait passer des heures à regarder les gens. Charlie, mon collègue et poto, m’enroule des pansements autours des doigts, mes ampoules n’ont pas cicatrisé, ce serait dommage de saigner sur les baguettes. On traîne dans les couloirs et croisons des artistes comme les membres d’IAM puis vient le moment des balances, c’est à dire des réglages techniques de chaque instrument. Les musiciens s’installent, je suis tout timide, je sais que rien n’est joué d’avance puisqu’au cas où je n’y arriverais pas, le batteur de Jean-Louis, Colin qui m’a gentiment cédé sa place (merci!), reste disponible. Je me dirige vers Jean-Louis pour le remercier, ce à quoi il répond « On va bien voir » en se marrant que j’interprète ainsi : « Je te laisse ta chance mais on va peut-être pas insister si c’est pourri ».

Je m’installe derrière la batterie, je n’en mène pas large, un technicien batterie backline (Salut Gérald!) s’occupe de régler la hauteur des pieds et des fûts. Il est d’une énorme bienveillance et souriant, je me sens en confiance. Il n’est pas très au courant de ce qui se passe, mais il finit par remarquer que je suis amateur, que j’ai une baguette spéciale et qu’il me manque une main. Quand nous sommes prêts, Jean-Louis et Gaëtan répètent l’intro blues que je trouve interminable, c’est normal j’ai envie de jouer ! Quand j’entends les premiers riff de Hygiaphone, je me lance et nous jouons le morceau d’une traite, puis une deuxième après quelques recommandations (taper plus fort sur la caisse claire, attendre avant la fin), puis une troisième fois pour valider. Il y a même la vidéo, pas mieux pour mon CV de batteur.

J’apprends que nous faisons l’ouverture de l’émission. Une heure plus tard nous revenons sur scène, entre temps le public a pris place et le chauffeur de salle s’occupe de mettre l’ambiance. Nagui  arrive, plaisante avec le public, puis une voix demande à tout le monde de quitter le plateau, tout le monde fait silence, les lumières s’éteignent. Antenne dans 5, 4, 3, 2, 1…

Un mois plus tard, l’émission est diffusée à 22h40 sur France 2, assis dans le canapé, j’ai des étoiles pleins les yeux, et nous pensons avec Nicolight que cette histoire est due à un alignement de planètes.

Après le morceau, Jean-Louis et Nagui parlent même de My Human Kit

Réussir à jouer parmi les « grands » renforce mon rêve d’en faire un métier, j’aimerais composer plus, jouer avec un groupe de musique même si l’idée des reprises mes plaît toujours autant. Alors je passe le message au Daft Punk car il y a un morceaux que j’aimerais jouer avec eux 🙂

Plus jeune, je me croyais capable de jouer de la musique, mais comme je n’en n’étais pas sûr, cela me paraissait impossible. Si vous vous pensez capable mais avez un doute, faites ceci : essayer plusieurs fois et s’entourer de personnes qui croient en ce que vous faites. Je pense que nous avons souvent peur de ce que nous voulons être, faire ou dire. Nous devons trouver les outils pour nous en libérer dans le but de laisser place à la parole, aux belles actions et à la créativité. Tout le monde mérite d’être quelqu’un de bien, d’avoir un job, du love et de kiffer la life (spéciale dédicace à tous les paumés de la société). Je souhaite à tout le monde de trouver l’énergie qui permet de vivre des rêves. Merci à mes parents et à mes deux sœurs pour leur respect des choix que j’ai fait dans ma vie, pour ne pas m’avoir démotivé à faire de la musique quand ce n’étais plus possible et pour m’avoir laissé le temps de devenir ce que je suis alors que je ne voyais pas d’avenir dans ma vie. Comme dirait Carlos : Big bisous.

Musicalement.

Retrouvez l’intégralité de l’émission :

https://mytaratata.com/taratata/541/taratata-ndeg541-avec-jean-louis-aubert-iam-marie-flore-liam-payne

 

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. poupie68 dit :

    bravo bravo bravo !! Je vous avoue que j’ai lu votre article à la base parce que j’ai entr’aperçu Jean Louis AUBERT de qui je suis fan depuis…..ouhhhh la la, bon j’ai 51 ans j’assume lolll, vous voyez le temps de ma communication avec TELEPHONE et JLA !! Et puis j’ai été happée par votre article, superbement écrit et tellement inspirant. Bravo à vous, et continuez !!

    1. Bionicohand dit :

      Ah ce JLA, il nous fais rêver. Merci pour votre message ! Vive le rock !

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